France: en 15 ans, de la sidération à la banalisation face à l’extrême droite

Crédit AFP/Archives – By VALERY HACHE

Il y a quinze ans la France se réveillait sous le choc de l’extrême droite au second tour de la présidentielle et manifestait en masse dans la rue. Sa qualification pour la deuxième fois, avec un score historique, suscite aujourd’hui peu d’émoi.

Au lendemain de la qualification de Marine Le Pen au second tour du scrutin le 7 mai face au centriste Emmanuel Macron, l’écrasante majorité des journaux français a choisi d’afficher en Une non pas le visage de la candidate anti-Europe et anti-immigration mais celui de son rival, 39 ans, jugeant qu’il incarnait, lui, la surprise.

Seul le quotidien communiste L’Humanité a titré lundi « Jamais » au-dessous de la silhouette de Marine Le Pen, avec ce commentaire: « Rassemblons-nous pour lui barrer la route ».

Le 21 avril 2002, l’apparition sur les écrans télé du visage de Jean-Marie Le Pen, le père de la candidate connu pour ses saillies xénophobes et antisémites, avait provoqué une telle sidération qu’en France l’expression « c’est un 21 avril » est aujourd’hui devenue synonyme de séisme politique.

Dimanche soir, dès les résultats connus, certains commentateurs évoquaient d’ailleurs « un double 21 avril ». Mais c’était pour souligner la disqualification inédite des deux partis traditionnels, le parti de droite Les Républicains et le parti socialiste.

Il y a 15 ans, les Français descendaient dans la rue le soir même des résultats en brandissant des pancartes proclamant « Honte d’être Français » et dénonçant le FN (Front national) comme le parti « F-Haine ». Ils étaient 60.000 à manifester le 24 avril, 250.000 le lendemain… Le 1er mai, 1,3 million de Français défilaient, dont 400.000 à Paris.

Dimanche soir, quelques 300 militants « antifascistes » et « anticapitalistes » ont manifesté à Paris « contre Marine et Macron », la candidate d’extrême droite et le centriste pro-européen, ex-banquier d’affaires. Une quarantaine d’actions similaires ailleurs en France ont réuni 2.000 personnes au cri de « Ni raciste ni banquier ».

Le collectif SOS Racisme a mobilisé de son côté tout au plus quelques centaines de personnes lundi soir pour dire « non au FN » et appeler à se mobiliser dans les urnes le 7 mai.

– « Une normalité » –

« Il n’y a plus aujourd’hui la même évidence selon laquelle le FN est un danger pour la démocratie, et les scores annoncés sont extrêmement inquiétants », a commenté auprès de l’AFP Dominique Sopo, le président de SOS racisme. Pour lui, il faut « faire oeuvre de pédagogie » pour souligner la « différence extrêmement nette entre les deux candidats ».

Selon un sondage publié lundi, la député européenne Marine Le Pen serait battue à 40% par Emmanuel Macron. Son père, cofondateur du parti créé en 1972, avait été sèchement éliminé face au candidat de droite Jacques Chirac avec moins de 18% des suffrages.

La candidate de 48 ans a été qualifiée au premier tour avec un score historique (21,30%) et un record de 7,7 millions de voix – contre 4,8 millions de voix à son père en 2002. Depuis 2013, les prévisions des sondages l’annonçaient au second tour de cette présidentielle.

« C’est encore plus grave qu’en 2002: cette situation semble susciter moins de réactions qu’il y a quinze ans, mais la fille est la même que le père », s’est alarmé Laurent Berger, chef d’un important syndicat français, la CFDT.

« C’est quasiment intégré, comme une normalité, que Marine Le Pen est au second tour. Il faut un réveil des consciences et des républicains », commentait pour sa part une militante de ce syndicat, Céline Gillier.

Déçus par les politiques de la droite jusqu’en 2012 puis de la gauche avec François Hollande qui a échoué à inverser la courbe du chômage comme promis, nombre d’électeurs se tournent aujourd’hui vers les extrêmes: « C’est la seule solution qu’on n’a pas essayée ! », peut-on entendre souvent.

Dans un contexte de vague populiste en Europe, Marine Le Pen mène campagne sur la « préférence nationale », la lutte contre l’immigration et le retour de la prospérité. Depuis sa prise en mains du parti FN en 2011, elle en a lissé l’image sulfureuse. Cette stratégie de « dédiabolisation » a payé: le FN est en constante progression à chaque élection depuis 2011.

Mardi, François Hollande a regretté qu’il n’y ait « pas eu de prise de conscience de ce qui s’est passé dimanche ». « Ce n’est pas rien que l’extrême droite soit au deuxième tour d’une élection présidentielle », a-t-il souligné.

Avec AFP

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