Une France à deux vitesses avec l’euro et le franc ?

Crédit AFP/Archives – By PHILIPPE HUGUEN

La proposition de Marine Le Pen de transformer l’euro en « monnaie commune », tout en réinstaurant une monnaie nationale, soulève des interrogations sur la circulation en parallèle de deux monnaies dans un même pays.

Marine Le Pen veut réinstaurer une monnaie nationale comme monnaie du quotidien des Français et négocier parallèlement la transformation de l’euro en « monnaie commune » pour les échanges internationaux, suivant le système de l’Ecu qui existait avant le passage du franc à la monnaie unique.

– Est-il possible d’avoir deux monnaies en circulation ?

Oui. Dans les pays exportateurs de matières premières, le dollar cohabite souvent avec la devise nationale, en particulier en Amérique latine, mais aussi dans les pays du Golfe. « Les pays à double monnaie sont des Etats qui ont une volonté de se détacher de la pression des monnaies importées, comme le Venezuela ou Cuba », explique à l’AFP Ludovic Subran, chef économiste chez Euler Hermès. « Il y a aussi des pays qui ont connu des crises, comme le Nigeria ou l’Argentine », ajoute-t-il. Dans ce cas, les grands groupes travaillent généralement en monnaie forte, mais les PME sont souvent contraintes à utiliser la monnaie nationale.

– Est-ce que la France peut revenir seule au système monétaire européen avec l’Ecu comme monnaie commune ?

Non. « La monnaie commune ne serait pas la réminiscence du système monétaire européen et ne serait pas l’Ecu qui n’était qu’une unité de compte » à l’époque, affirme à l’AFP Philippe Waechter, chef économiste chez Natixis AM. Car la France se verrait contrainte « d’emprunter de la crédibilité au reste de l’Europe » pour bénéficier de l’euro. En d’autres termes, comme le franc serait une monnaie faible et peu recherchée par les marchés, la monnaie commune, plus forte, permettrait à la France de « contrebalancer la fragilité de sa monnaie nationale ». « Mais il faudrait l’accord de tous les partenaires de la France pour mettre en place cette monnaie commune », ajoute l’économiste, doutant que l’Allemagne accepte cette monnaie commune.

Le Front national n’a pas précisé si la France laisserait flotter sa monnaie par rapport à l’euro. « De toute manière, il y aurait un écart entre l’euro et le franc que les marchés chercheraient à combler en permanence, créant des tensions », prévient M. Subran. « Si on revenait à un système de change flottant, la France se verrait contrainte de courir après l’euro en permanence » pour éviter que l’écart entre les deux monnaies ne s’accroisse.

– Quelles seraient les conséquences ?

Pour les économistes interrogés, le principal risque serait de créer un pays divisé entre ceux qui auraient des euros et ceux qui n’en auraient pas. « Cela crée une société à deux vitesses », estime M. Subran. « Le Français pourra certes payer sa baguette en francs, mais le jour où il franchira la frontière, le croissant deviendra trop cher pour lui », souligne-t-il. Une opinion partagée par Jean-François Faure, fondateur du think tank « Monnaies en transition », qui prône l’utilisation de « monnaies complémentaires ». Il craint que le projet de Mme Le Pen ne soit « pas viable ». « Cela créerait des distinctions au sein de la population », assure-t-il, convaincu qu’un serveur qui serait en contact avec des touristes, qui payeraient en euros, pourrait à terme « gagner mieux sa vie qu’un médecin » payé en francs.

Reste aussi à définir si la dette et l’épargne seraient maintenues en euros. « A court terme, le nouveau franc ne serait pas considéré comme une monnaie forte. La France devrait donc continuer à acquérir de la dette et à payer les fournisseurs en euro », explique M. Subran. En d’autres termes, l’Etat devrait utiliser ses réserves de change pour empêcher sa monnaie de décrocher et de rendre le coût de sa dette en euros plus élevé.

– Est-ce que ça peut marcher ?

Oui en partie. Il y a des exemples de monnaies dites « complémentaires » qui sont des succès, mais il ne s’agit pas d’un système à deux monnaies comme le préconise Mme Le Pen. « Les monnaies complémentaires fonctionnent, mais à condition qu’elles soient destinées à un usage bien précis », estime M. Faure. Il cite notamment les exemples du ticket restaurant en France ou encore le WIR, une monnaie inter-entreprise qui « fonctionne extrêmement bien en Suisse depuis 80 ans », explique-t-il. Chercher à instaurer des monnaies complémentaires à l’euro est « une très bonne réponse pour relancer la croissance, mais il faut juste le faire de la bonne manière et l’affecter à des missions précises », assure M. Faure.

Avec AFP

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